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Lorsque
commença le débarquement des troupes alliées dans la France
occupée par la Wehrmacht allemande, le 6 juin 1944, ce fut pour
les gens du monde entier, mais également pour une très grande
partie des allemands, un signal d’espérance : que viennent
bientôt la paix et la liberté en Europe. Qu’était-il arrivé ? Un
criminel et ses comparses avaient réussi à prendre le pouvoir de
l’État en Allemagne. Et cela créa une situation où, sous la
domination du Parti, le droit et l’injustice s’imbriquaient l’un
dans l’autre et souvent passaient, presque inséparablement, l’un
dans l’autre. Car le régime conduit par un criminel exerçait
aussi les fonctions classiques de l’État et de ses ordonnances.
Il put ainsi, en un certain sens, exiger l’obéissance de droit
des citoyens et le respect vis-à-vis de l’autorité de l’État (Rm
12,1ss !), mais il utilisait en même temps les instruments du
droit comme instruments de ses buts criminels. L’état de droit
lui-même, qui continuait en partie à fonctionner sous ses formes
habituelles dans la vie quotidienne, était devenu en même temps
une puissance de destruction du droit : la perversion des
ordonnances qui devaient servir la justice et en même temps
consolidaient et rendaient impénétrable la domination de
l’iniquité, signifiait au plus profond une domination du
mensonge, qui obscurcissait les consciences. Au service de cette
domination du mensonge, il y avait un régime de la peur, dans
lequel personne ne pouvait faire confiance à autrui, parce que
tout un chacun devait, d’une certaine manière, se protéger sous
le masque du mensonge. Pareil masque servait à se protéger
soi-même, mais contribuait d’autre part à renforcer le pouvoir
du mal. Aussi fut-il de fait nécessaire que le monde entier
intervienne pour faire sauter l’anneau de l’action criminelle,
pour rétablir la liberté et le droit. Qu’il en ait été ainsi,
nous en rendons grâces en cette heure, et ce ne sont pas
seulement les pays occupés par les troupes allemandes et livrés
de la sorte à la terreur nazie, qui rendent grâces. Nous-mêmes,
allemands, nous rendons grâces de ce que, à l’aide de cet
engagement, nous avons recouvré la liberté et le droit. S’il y a
eu jamais, dans l’histoire, un bellum justum, c’est bien ici,
dans l’engagement des Alliés, car l’intervention servait
finalement aussi au bien de ceux contre le pays desquels a été
menée la guerre. Une telle constatation me paraît importante,
car elle montre, sur la base d’un événement historique, le
caractère insoutenable d’un pacifisme absolu. Cela n’ôte rien,
bien sûr, au devoir de poser très soigneusement la question si
et à quelles conditions est possible encore aujourd’hui quelque
chose comme une guerre juste, c’est-à-dire une intervention
militaire, mise au service de la paix et obéissant à ses
critères moraux, contre des régimes injustes établis. Surtout,
ce qu’on a dit fait mieux comprendre, espérons-le, que la paix
et le droit, la paix et la justice sont inséparablement liés
l’un à l’autre. Quand le droit est détruit, quand l’injustice
prend le pouvoir, c’est toujours la paix qui est menacée et
déjà, pour une part, brisée. La préoccupation pour la paix est
en ce sens avant tout la préoccupation pour une forme du droit
qui garantit la justice à l’individu et à la communauté dans son
ensemble.
En Europe,
après la fin des hostilités, en mai 1945, il nous a été donné de
vivre une période de paix comme notre continent ne l’a guère
connue dans toute son histoire pour un temps aussi long. C’est
là en grande partie le mérite de la première génération de
politiciens après la guerre – Churchill, Adenauer, Schumann, De
Gasperi, qu’il nous faut remercier en cette heure : nous devons
remercier de ce que l’élément déterminant ne fut pas l’idée de
revanche ou même de vengeance et d’humiliation des vaincus, mais
le devoir de garantir à tous leur droit ; qu’à la place de la
concurrence s’introduisit la collaboration, l’échange des dons
offerts et acceptés, la connaissance et l’amitié mutuelles,
précisément dans une diversité où chaque nation conserve son
identité, et la conserve dans une commune responsabilité pour le
droit, après la précédente perversion du droit. Le centre moteur
de cette politique de paix fut le lien de l’agir politique avec
la morale. Le critérium intérieur de toute politique, ce sont
les valeurs morales que nous n’inventons pas mais qui sont
présentes et qui sont les mêmes pour tous les hommes. Disons-le
ouvertement : ces hommes politiques ont puisé leur idée morale
de l’État, de la paix et de la responsabilité dans leur foi
chrétienne qui avait surmonté les épreuves de l’Illuminisme et
qui s’était largement purifiée dans la confrontation avec la
distorsion du droit et de la morale opérée par le Parti. Ils ne
voulaient pas construire un État confessionnel, mais un État
formé par la raison éthique ; cependant leur foi les avait aidés
à rétablir et à remettre en vie la raison asservie et dénaturée
par la tyrannie idéologique. Ils ont fait une politique de la
raison – de la raison morale ; leur christianisme ne les avait
pas éloignés de la raison, mais il avait plutôt éclairé leur
raison.

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